Avant propos

Quand la vérité n’est pas libre, la liberté n’est pas vraie. "Jacques Prévert"
Bienvenue dans le site de l’info la plus « frèch » d’Alsace ! Je vous propose des articles avec ma liberté de ton habituelle. Des journalistes sont aussi invités. Bien à vous. Maxime Gruber.

mercredi 3 décembre 2025

Éric, le SDF dormant à quelques mètres du sapin de la place Kléber à Strasbourg...

Éric, le SDF dormant à quelques mètres du sapin de la place Kléber à Strasbourg, témoigne.

Il est l'un des inconnus les plus célèbres de Strasbourg et le mérite bien, non, il mérite mieux !




L'urgence sociale
On en avait entendu parler pendant la campagne des municipales de 2020. Un leitmotiv répété à l'envie par Madame la maire de Strasbourg, mais cela restera qu'un slogan. « Le bouclier social », présenté depuis la campagne des municipales comme l’une des préoccupations centrales de l’exécutif, peine. Pour se démarquer des anciens mandats de la mairie, la misère ne sera plus calfeutrée, escamotée comme dans certaines villes actuelles, aux alentours de Strasbourg.

Faut-il l'exhiber ? La municipalité strasbourgeoise le fait avec un résultat opposé aux attentes. Pire, l'habitude de côtoyer des sans-abri a pris le pas, avec un rejet pour certains habitants ayant un toit au-dessus de leur tête.

Cette accoutumance va accentuer les clivages des Strasbourgeois, riches et pauvres confondus.

Le choc visuel
Ce samedi 22 novembre, après avoir assisté à la marche blanche en hommage à Mehdi Kessaci, où je vis, Jeanne Barseghian avec son aréopage, venus souriants et pressés d'en finir. Je partis comme un bon piéton, en direction de la gare.

Ville déjà festive, les préparatifs pour le marché de Noël vont bon train, la plupart des futurs emplacements sont encore fermés au public, mais le féérique est là.

En arrivant à la rue de l'Outre, c'est la claque. Sous les arcades, dans le froid, un alignement de matelas, au loin trône le grand sapin de la place Kléber. La joie se mélange au malheur, les strass et les sacs de couchage, la misère et l'opulence. On peut parler d'un choc visuel sans aucune compassion.

Cliquez sur l'image pour accéder au message de la page Facebook


Le choc des réseaux sociaux
Il n'y a personne près des matelas, je laisse passer les touristes et prends des photos. Publiées sur ma page Facebook, le nombre de visionnages devient surprenant, les commentaires aussi. Je demande pourquoi les élus n'agissent pas, certains lecteurs me suivent. D'autres voulant défendre la municipalité disent que c'est à la charge de l'État, la belle affaire. On me prend à partie, je peux héberger les SDF, certains commentaires vont plus loin, les SDF ont choisi la rue, pire, ils sont irrécupérables. Encore d'autres messages sont tout simplement racistes, on prétend que les images sont créées avec l'intelligence artificielle. Les bonnes intentions se mélangent au pire…

Un proche de la municipalité me fait un tutoriel, le voici :

Maxime Gruber Petit tuto pour recevoir le prix Nobel de la paix :

Petit 1 : (Écrivez, ça va vous servir.) Arrêtez de pointer du doigt les gens de la ville.
Petit 2 : Arrêtez de faire des posts pour dénoncer (car ça ne sert visiblement pas à grand-chose).
Petit 3 : Pour que les choses bougent, ce n’est pas sur les réseaux sociaux que ça marche, mais en agissant nous-mêmes. Donc je vous en prie : aidez les gens de la ville, ou prenez un sans-abri sous votre aile !
Petit 4 : Donnez ne serait-ce que 3 € et un bonjour : ce serait déjà une grande avancée. (Mais nous savons tous que la plupart ne le font pas car « il ne faut pas leur donner d’argent sinon ils vont s’acheter de la binouze ! »… Et ce sont ces mêmes personnes qui s’offusquent encore et toujours qu’ils soient dehors.)
Petit 5 : Si vous faites tout cela, alors oui, vous pourrez vous offusquer de la situation…
Petit 6 : Et si j’étais vous, j’accepterais la critique : ça forge le caractère et le civisme.

À bon entendeur, Monsieur Gruber.


Ces gens là... Monsieur !
La conclusion est qu'il n'a rien à voir, observer, je dois circuler en regardant ailleurs… Des personnes autrement sérieuses veillent.


La machine s'emballe !
En moins de 24 heures, le cap des 100 000 vues est atteint. Et, cela continue, je reçois un message d'une personnalité politique m'indiquant que je devrai m'occuper de sa communication.
Nous sommes à 212 000 vues et ce n'est pas fini. Je ne suis donc pas le seul à ressentir un malaise, l'affaire devient sérieuse.




Mais le meilleur reste à venir.

Éric, le propriétaire du matelas, me contacte.

Voici un message privé étonnant :

« Puis-je vous contacter ? La photo que vous avez prise est ma chambre à coucher. Merci. »

Je l'appelle de suite. Voici l'histoire d'Éric racontée par lui même :

« Je suis venu sur Strasbourg il y a 6 ans.

Avant cela, je travaillais non loin de Haguenau, j'avais tout, j'étais mon propre patron pendant 12 ans, j'avais une brasserie. Ensuite, j'ai tout vendu pour venir à Strasbourg.

Et, entre la vie paisible à Haguenau et celle de Strasbourg avec des personnes très différentes… il y a beaucoup de stress. De plus, j'avais un cancer à l'époque, j'ai fait un burn-out !

Plus envie de rien, j'étais couché toute la journée. Et, après, alcool aidant, on va pas se voiler la face, j'ai tout lâché. Et, en fin de compte, ma femme m'a quitté. Un jour bien sûr, je savais que ça allait me tomber dessus, huissier, police, serrurier et voilà, on vous laisse une heure pour faire vos bagages. Et je suis parti avec ma valise, mon sac à dos, sous les arcades de la rue de l'Outre. Nous sommes deux à partager l'endroit, moi et mon ami Souleymane avec nos matelas. Depuis une dizaine d'années, il est à la rue, et il a un problème avec la préfecture qui refuse de faire ses papiers. Avec son frère, il a engagé une procédure avec un avocat, on attend le résultat.

Personnellement, mon assistante sociale m'a grandement aidé et avec quatre dossiers, dont un pour un logement d'urgence… »

 
Un contexte délétère
Éric a lu les messages désobligeants à son endroit sur ma page Facebook, il me pose une question :

« En tout cas, dénigrer, comme certains de vos commentateurs, comment appelle-t-on ça ? »

Je lui réponds : « Des contradicteurs malintentionnés », et que je me réjouis d'entendre qu'il veuille s'en sortir.

Il précise que beaucoup attendent leurs papiers. Pour lui c'est sa carte d'identité, la majorité sont sur liste d'attente.

« J'ai 55 ans et toujours travaillé, en commençant à l'âge de 14 ans. Et, mes demandes actuelles à la mairie ne sont jamais considérées. Ainsi, je dois attendre, ce qui n'est pas le cas des hébergés dans le Tiny House près du port du Rhin, des migrants de l'Est. Quotidiennement, ils viennent au centre-ville. Et, nous, nous ne comptons pas ? Et, ne me parlez pas de racisme de ma part, mon ami et compagnon de chambrée, Souleymane est noir.

Certains des commentaires de votre page disent que si on est dans la rue, c'est parce qu'on est alcoolique et drogué. Ce n'est pas vrai, et nous sommes de plus en plus nombreux à la rue, et même des jeunes filles ! »

L'hommage « aux morts de la rue »
Ce samedi 1er novembre, Éric voit Mme la maire participant à l'hommage « aux morts de la rue » devant l'église Saint-Pierre-le-Vieux, à Strasbourg.

Il veut l'interpeller au sujet des logements vides dans la ville. Si elle ne pouvait pas en libérer quelques-uns pour raison sociale, faire un geste. Elle est partie de suite, des policiers l'entouraient. Il n'y aura pas de dialogue, de réponse.

Éric ne demande pas de logements de luxe pour lui et ses compagnons d'infortune, mais de petits studios. Pour qu'on ait une clé, pour qu'on puisse être au chaud, pour qu'on puisse bien dormir tranquillement, qu'on ne se fasse pas grimper dessus la nuit par des souris et des rats. C'est infernal.

Éric fait une comparaison avec les travaux pharaoniques de la ville.

« Pourquoi faire des pistes cyclables au prix de millions d'euros, en laissant la misère se propager ? Pourquoi installer des arceaux à vélos, partout ? À la Meinau, les soirs de match, quand je passe là-bas, il y a une vingtaine de vélos accrochés pour 300 arceaux. Le sens des priorités de la mairie est insensé. »



Rapt du matelas et des effets d'Éric.
Les sans-abri apprécient les maraudes distribuant nourriture, vêtements. Sans oublier l'aide des citoyens et des voisins. Éric a de bons rapports avec les commerçants de sa rue, selon lui, on peut se débrouiller pour ne pas avoir faim à Strasbourg. Nous avons aussi les Restos du cœur, dorénavant appelé "La Fringale", la maraude musulmane, il y a une petite maraude des infirmières.

La crainte vient d'ailleurs, des services de la mairie !

Viennent-t-ils vous voir ? Ma question se voulait anodine, la réponse est cinglante.

« Ah non. Justement, ce jeudi passé, trois jours avant la prise de vos photos, un ami me cherchait en vélo et me dit : Éric, file à ton squat et dépêche-toi. Ils sont en train de tout enlever.
Alors, j'ai couru vers la rue de l'Outre, et quand je suis arrivé, il y avait une camionnette de la mairie. Ils avaient tout chargé dans le véhicule, quatre policiers municipaux étaient autour.
J'arrive et commence à m'énerver. Un policier me dit que c'est trop tard : on vous avait prévenu ! Alors, je demande : qui m'a prévenu ?
Entre temps, mon ami Souleymane a emmené ses affaires plus loin.
Les miennes sont parties pour la déchetterie. C'est impressionnant, tout le matériel était neuf, on me l'avait donné, ce n'était pas de la récupération ! »


La bienveillance des Strasbourgeois, des voisins et des touristes
Des passants qui le connaissaient ont vu son désarroi. Une demi-heure après, ils sont de retour et lui remettent des couettes et des couvertures. Éric précise que les commerçants sont toujours bienveillants, les Strasbourgeois et les touristes aussi.

Éric veut travailler
Je décide d'aller sur place en soirée. Trois personnes sont sous les arcades, je reconnais de suite, Éric, grâce à sa photo dans Facebook. Un homme alerte ayant l'aspect d'une personne sans histoire, un Strasbourgeois comme il y en a d'autres.

À mon grand étonnement, il me reconnaît de suite et vient à moi. Ses amis bienveillants le suivent. Je ne m'étais pas trompé, ce sont des types bien, nous sommes un peu émus. Eric s'excuse étant un peu honteux de sa situation. Je le rassure, personne n'est immunisé de ce genre de descente aux enfers.

Pourquoi veut-il un lieu propre et une douche pour s'en sortir ? Pour être présentable à son futur emploi.


« Imaginez-vous comme un boucher-cuisinier allant travailler de cette façon, se levant sous les arcades, sans se doucher, sans se raser. J'ai toujours été propre sur moi, mais là, je ne pourrai pas. Les cuisiniers doivent être présentables en allant au travail et commencent le matin à 8 heures ou 9 heures du matin. Les douches des associations n'ouvrent qu'à 9 heures. Ainsi, je serai continuellement en retard. Il est inconcevable de travailler et de dormir dehors… »

Son ami Souleymane, à son tour, me parle longuement de ses galères. Il a fait ses études en France mais ne parvient pas à avoir depuis une bonne décennie les papiers de la préfecture. Il confirme la confiscation des affaires d'Éric. Leur anonymat imposé, leur transparence voulue. Heureusement, des associations veillent.

Comment donner le coup de pouce pour qu'Éric retrouve un emploi.
Je vais droit au but : boit-t-il ? Il répond : modérément.

Mon ultime question :

« Au cas où vous trouveriez un appartement chaud avec une salle de bain, que vous ayez des vêtements corrects, vous pourriez immédiatement travailler ? »

Sa réponse en un mot : oui !


Ainsi, je peux remettre son CV à toute personne intéressée, merci de me le demander par mail.


Maxime Gruber.
maxime.gruber.presse@gmail.com


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