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Quand la vérité n’est pas libre, la liberté n’est pas vraie. "Jacques Prévert"
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lundi 1 septembre 2025

Strasbourg, relaxe pour un point interrogation, la démocratie respire !

Strasbourg, relaxe pour un point interrogation, la démocratie respire !

Face au tribunal : Alain Peters, retraité sans histoire, contre l'adjointe à la mairie de Strasbourg chargée de la tranquillité publique, Nadia Zourgui.


« Il n'y a que les petits hommes qui redoutent les petits écrits »  
Beaumarchais.




Une joute a commencé par un point d'interrogation ! Et, finit dans une sorte de bric-à-brac judiciaire. Mais, ce n'est nullement la faute des magistrats essayant de dénouer la pelote de laine de la partie civile.

Il était une fois sur Facebook…
C'était une époque lointaine où les trolls étaient moins virulents et les discussions plus osées. Nous sommes en janvier 2024, je ne donnerai pas le jour exact pour ne pas tomber dans la chausse-trape où s'est fourvoyée la partie civile. Comme cette dernière souhaite préserver l'anonymat de ses sources, je ne divulguerai pas les noms des débatteurs du réseau social Facebook.

Un échange de messages part en quenouille, monsieur "X" tacle la mairie de Strasbourg, un défendeur lui fait la morale. Cela part en sucette, Monsieur "X" sort son joker et relate une embauche étonnante à la mairie avec une suspicion de favoritisme. Tout le monde se quitte fâché et les principaux concernés par l'affaire reçoivent moult captures d'écran envoyées par des « amis » sur l'empoignade virtuelle.

L'effet boule de neige.
On aurait pu en rester là, mais tous les moqueurs relaient l'info, monsieur "X" est rejoint par monsieur "Y", et c'est au tour d'Alain Peters de s'en amuser par un message imagé dont il a le secret. Direct, frontal, voici le texte : 

 « La vie merveilleuse des Strasbourgeois de tous poils… Notre adjointe à la tranquilosité (sic) publique, Nadia Zourgui, s'est offert les services d'un expert qu'elle connait bien puisque c'est le fils de sa copine… Il s'agit de Nicolas Bickel en charge à l'Eurométropole de la « préfiguration* de la tranquillité publique » (sic!!!) VOUS AVEC DIT NÉPOTISME ? *Préfiguration : ce qui annonce un événement futur sous une forme imparfaite »

Le terme en majuscule, avant le point d’interrogation, est de trop, le piège se referme sur Alain Peters. Ainsi, il paiera pour les autres.




Réaction rapide de la mairie.
Les rumeurs sur « la toile » s'emballent, les contradicteurs sont sur le qui vive, les proches de la mairie se réjouissent. Le 5 février 2024, le conseil municipal de la ville de Strasbourg octroie la protection fonctionnelle à Mme Nadia Zourgui, une des élues concernées dans cette affaire « Facebook », une affaire qui faisait seulement sourire. Ainsi, on va passer aux choses sérieuses.

Ce n'est pas une première, la maire Jeanne Barseghian ayant obtenu cette même protection, le 3 mai 2021, ni une dernière... depuis, d'autres adjoints en bénéficient. 
Le contribuable et les contributeurs se font une joie de participer financièrement aux passes d'armes des élus au tribunal. C'est aussi un signal fort contre les contradicteurs, laissant plus d'espace aux proches de la mairie dans les réseaux sociaux...

Nous allons passer de la farce à la tragi-comédie.
Un commissaire de justice a signifié la citation à comparaître. Un document remis à Alain Peters, un simple citoyen poursuivi, car les deux cibles initiales, les découvreurs de l'affaire, messieurs "X" et "Y" ne sont pas impliqués faute de preuves.
Le motif de la plainte ? 
Voici un extrait : 
… « Conformément à la demande de monsieur le procureur de la République. Je vous fais connaître que vous êtes poursuivi pour les raisons exposées sur la cellule. Motif principal, atteinte à l'honneur ou à la considération d'un fonctionnaire, personne dépositaire de l'autorité publique, citoyen chargé d'un service public. » 

Que le spectacle commence ! 

Le tribunal correctionnel de Strasbourg, ce 28 août 2025.
Ce procès est assez révélateur d'une liberté d'expression que l'on ne peut pas jauger sans parti pris. La sensation d'être le témoin d'un naufrage ou d'une montagne donnant naissance à une micro-souris. Alain Peters, Strasbourgeois de 74 ans est à la barre.
La juge Louise Oddoux précise pourquoi il est assigné : pour diffamation envers Nadia Zourgui.
Les messieurs "X" et "Y" sont souvent cités comme les instigateurs de l'affaire et le seront pendant toute la séance. Cela peut indiquer que les mailles du filet étaient trop lâches. Plus positivement, on pourrait penser qu'ils n'ont pas enfreint la loi.

Le point d'interrogation n'est pas considéré par la loi… 
On va directement au vif du sujet, à l'élément qui a réuni les protagonistes au tribunal. L'image incriminée n'est pas un photomontage, plutôt une banale mise en page avec le terme posant un problème : un mot de trop avec un point d'interrogation, à la fin.
Il pourrait s'agir d'un questionnement, mais visiblement, cette subtilité de la langue française n'est pas considérée par la loi. Ainsi, ce questionnement est une affirmation.
Pour se défausser, Alain Peters précise : « Je pratique une forme d’humour qui n’est pas partagée par tout le monde ». 

Le grand problème, les documents remis à la justice.
Nadia Zourgi est à la barre, elle doit expliquer un imbroglio pour ses preuves, en nous expliquant que ses contacts de Facebook lui ont fourni de nombreuses captures. Elle indique aussi, n'avoir pas ou plus de liens avec le trio moqueur sur ce réseau social.
Nadia Zourgi précise que la plainte est fondée sur des documents dont le nom des expéditeurs est tronqué pour ne pas divulguer leur identité. Étrange comportement, on est en droit de se demander si les généreux donateurs des captures d'écrans sont des militants, des trolls, ou des personnes impliquées dans l'affaire. Les magistrats paraissent à la peine pour trouver la date des documents, puis ta-dam !

Me Arnaud Dupuy, avocat de Nadia Zourgui, sort de sa manche un nouveau document remis la veille du procès. À vrai dire, non, il s'agit d'un document similaire, avec une autre date. On se noie dans des débats procéduraux complexes... Remarquons que l'avocat indique que ce nouveau document n'a pas été authentifié par un commissaire de justice.

En défense, Me Francis Metzger profite de cet embarras pour demander tout simplement la prescription des faits. Les magistrats vont délibérer à ce sujet.

À la suite de la non-prescription, les débats continuent.
Nadia Zourgui est de nouveau à la barre, elle précise : 

« Cela laisse sous-entendre qu’on recrute ses amis. Je connais effectivement ce monsieur, mais je n’ai pas participé au premier, ni au deuxième jury de son entretien. Ce post est une atteinte à mon honneur. Je ne peux pas accepter qu’on remette en cause ma probité et qu’on m’accuse de népotisme »... 

C'est au tour d'Alain Peters, il subit de vives critiques à la barre. Me Arnaud Dupuy, tonne : « On ne peut pas rire de tout ! » Comme journaliste satirique, j'ai failli tomber de mon siège.
Il continue... « On a le droit à la liberté d’expression, mais pas de rire de tout et de n’importe quoi ! »

On enfonce le clou : « Vous avez vérifié ? » interroge la présidente de la chambre des vacations.

Avec un flegme certain, Alain Peters répond : « J’ai pris quelques éléments disponibles sur les réseaux sociaux ». Cela ne va pas calmer la vindicte du procureur de la république, Yann Martinez, pas assez proche de son micro, donc presque inaudible dans la salle.
La formule de ne pas rire de tout est reprise, en la mêlant aux plus grands drames de l'humanité du 20e et 21e siècle, provoquant un certain malaise. L'excès de caricatures pour un simple mot sur Facebook peut être incommodant. Le procureur de la république rejette les justifications du prévenu, notant que la publication « est assumée de manière relative ».
Il requiert la condamnation du prévenu, au motif de « propos infamants » et de « l’absence de vérifications »

 La défense argumente et sort deux jokers. Après un préambule sur l'histoire du népotisme, visiblement bien ancré dans la culture française, des exemples de personnes politiques françaises de premier plan, malmenées et moquées, mais ayant la hauteur de ne pas y répondre.

Me Francis Metzger, cite Chantal Cutajar, maître de conférences HDR, droit privé et sciences criminelles à l'université de Strasbourg. Il s'agit d'un message sur sa page Facebook au sujet de la protection fonctionnelle de Mme Zourgui.
Voici le texte :

« Critiquer une élue, est-ce risquer la justice ? »
« Le 5 février dernier, le Conseil municipal de Strasbourg a voté l’attribution de la protection fonctionnelle à Mme Nadia Zourgui. Adjointe à la Maire, pour lui permettre de poursuivre en diffamation un citoyen à la suite d’un post Facebook mettant en cause une nomination municipale. Oui, la loi du 21 mars 2024 permet de protéger les élus lorsqu’ils sont attaqués dans le cadre de leurs fonctions. Mais ici, aucune information n’a été donnée publiquement en Conseil municipal sur le contenu du post en cause, la personne visée ou les faits précis. La plainte est engagée à titre personnel, mais financée par des crédits municipaux, sans débat démocratique réel. Une élue dispose de plusieurs moyens institutionnels pour répondre à une critique : une déclaration publique, une mise au point, un droit de réponse. Mais, judiciariser la parole d’un citoyen, c’est franchir un seuil politique sensible. Cela crée un climat de dissuasion, au détriment du débat démocratique. »




La salle silencieuse semble figée.
Puis, Me Francis Metzger, montre un nouveau message Facebook, cette fois-ci de Nadia Zourgui célébrant un mariage auquel la personne embauchée, mari de sa meilleure amie est bien présent.

Me Francis Metzger conclut en soulignant « la bonne foi » de son client qui « s’est exprimé dans un but légitime, sans aucune animosité personnelle » au regard du « débat démocratique », sur la base d’une publication de l’élue où l’on aperçoit l’homme en question lors du mariage d’une proche.

Fort de son effet, il lance une tirade du mariage de Figaro de Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais :

 « Sans la liberté de blâmer, il n'est point d'éloge flatteur ; il n'y a que les petits hommes, qui redoutent les petits écrits. »

Le verdict.
Les documents partiellement anonymisés, des captures d’écran rognées pour préserver le nom de ceux qui l’ont informée des publications sur Facebook n’ont pas permis la datation exacte de l'émission du post.
Le prévenu a été relaxé. L’élue a annoncé, par le biais de son avocat, son intention de faire appel de la décision.
On pourra certainement savoir, par cet éventuel appel, qui sont les informateurs.

Que penser de cette mini-affaire ?
Si ce jugement était confirmé en appel, il rappellerait une évidence : critiquer un élu, même avec un humour grinçant, n’est pas un délit, mais un droit. La démocratie s’en porterait mieux, et le débat public aussi.
Toutefois, les messages écrits pour nuire, la délation, la diffamation et l'usurpation des noms dans les réseaux sociaux, si courants en cette période électorale, doivent être combattus avec la plus grande fermeté.

Maxime Gruber

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